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VIII
À M. Louvigny de Montigny

des paroles italiennes. La voix était juste, l’air original. Une voix de femme répondit, et pendant longtemps les deux improvisateurs alternèrent leurs chansons. C’était une sensation rare. La mer, calme comme un lac, reflétait la clarté de la lune, et notre navire avançait lentement dans une nappe de lumière, tandis que les chanteurs corses se renvoyaient comme des volants leurs strophes monotones que rythmaient les pulsations de la machine. Je pensai alors à vos pagayeurs dont M. Ernest Gagnon nous a conservé les mélodies, et qui chantent, par de telles soirées, sur vos rivières et sur vos lacs, les vieilles chansons de chez nous, dont l’air nous prend aux entrailles et qu’un Français seul peut chanter. Et l’antique Cyrnos, avec ses promontoires de granit rose qui baignent dans la mer violette, ses oliviers aux feuilles grêles, ses châtaigneraies géantes, ses femmes aux attitudes sculpturales, qui portent sur la tête leur fardeau dans un geste de canéphores, ses marmots en haillons, nus des talons à la ceinture, ses masures en ruine qui semblent victimes d’un bombardement, la mollesse d’Ajaccio qui s’endort sous ses palmiers dans la splendeur d’un été perpétuel, l’activité mercantile de Bastia, l’orgueil déguenillé de Corte ou l’âme violente de Sartène, la Corse avec son maquis parfumé, ses fières montagnes, sa Méditerranée courroucée ou paisible qui la berce de son éternelle chanson, me parut infiniment plus lointaine que votre Canada français, où l’on parle comme chez nous.