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introduction à l’histoire

ont cessé d’être les nôtres. Une foule dé mots que le passé a connus ont changé de sens ; nos mots nouveaux ne s’adaptent bien qu’au présent ; beaucoup d’entre eux tout au moins éveillent dans l’esprit du lecteur un complexe d’idées qui n’appartiennent qu’à notre temps.

S’agit-il d’époques très différentes de celle où nous vivons, le problème ne laisse pas d’être souvent épineux. Il en est ainsi pour le haut moyen âge, qui n’a, sous les Mérovingiens et les Carolingiens, rien connu de comparable à nos fonctionnaires modernes, à nos ministères, à ce que nous appelons un État ; où le Trésor public se confond avec la cassette privée du souverain et le domaine public avec ses biens personnels ; où le civil et le militaire, le temporel et le spirituel se trouvent étroitement mêlés ; où l’on vit enfin une vie qui ne rappelle que de loin celle de l’époque romaine et n’annonce guère encore la nôtre. La vérité historique serait trop souvent, dans des cas pareils, trahie par l’insuffisance de notre vocabulaire si les historiens ne s’ingéniaient pas à y remédier en redoublant d’explications et de commentaires.

Le risque de méprises est encore aggravé, cela va de soi, si, cédant à un penchant trop commun aujourd’hui, l’on use volontairement d’une terminologie anachronique, dans la vaine pensée de rapprocher, en quelque manière, du lecteur les faits dont on parle. Appliquées à des périodes anciennes, des expressions ultra-modernes, comme celles dont trop d’historiens parsèment leurs ouvrages — syndicalisme, cléricalisme, sectaire, meeting, lock-out, et bien d’autres que nos ancêtres ignoraient — ont pour effet inévitable de fausser les perspectives historiques par des assimilations malencontreuses qui sont la négation même de l’histoire.