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TITIEN

comme un rêve de bonheur dans un décor somptueux se reflétèrent dans cette âme unie et profonde comme un miroir. Grand esprit, pénétrant et sagace, il imposa lentement sa maîtrise, survécut aux rivaux qui auraient pu inquiéter sa royauté, régla avec une prudente économie sa force de production qui se prolongea au delà des limites imposées d’ordinaire à l’homme. Si l’on peut noter dans ses dernières œuvres quelque appauvrissement d’imagination, on y admire aussi le progrès continu dans la science du métier et l’audace croissante dans le maniement du pinceau.

Cette œuvre magnifique est surtout objective. Titien livre peu de lui-même ; il ne formule pas comme Michel-Ange ou Rembrandt des rêves sublimes ou pathétiques. S’il connut des douleurs intimes, il ne les a pas racontées. Peut-être l’âme chez lui ne fut-elle pas à la hauteur du génie pittoresque. Les soucis qui troublèrent son existence furent surtout des soucis d’argent. L’inconduite et les dissipations d’un fils aîné désolèrent sa tendresse paternelle. Homme d’ordre et que l’on put, sur la fin, accuser d’avarice, il se donna mille tracas pour faire rentrer des revenus que lui promettait, sans les lui assurer, la faveur impériale. D’ailleurs, il jouit noblement de la vie, en sage épicurien, en philosophe aimable et facile. Ces natures à base de sagesse pratique ne donnent guère à l’esprit ni la grande émotion lyrique, ni le frisson de l’infini, ni le trouble du mystère. Mais elles font aimer la vie ; elles répandent comme une vertu bienfaisante le