Page:Hamelin - Le Système d’Aristote.djvu/139

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donc tous des universaux. Le contenu du concept n’est donc pas substantiel au sens le plus profond du mot.

Par conséquent, les genres et les différences ont beau être attribués aux choses dans la catégorie du τί ἐστι, ils ont beau, par leur assemblage, reconstituer des οὐσίαι, ces οὐσίαι non seulement ne sont pas le réel, mais même ne sont pas des équivalents complets du réel. Le traité des Catégories dit excellemment que le genre et la différence signifient une sorte particulièrement élevée de ποιόν, le ποιὸν de la substance[1]. Le même traité dit encore très bien que les genres et les espèces des substances premières, c’est-à-dire ici des individus, sont aux genres et espèces dans les autres catégories, ce que les substances premières sont elles-mêmes par rapport aux autres catégories (ibid., 3 a, 1-4). En un mot le concept n’atteint pas les substances : il n’atteint pas même toute l’essence des substances, si par essence on entend tout ce qui constitue la nature d’un être. La réalité de l’individu ne se définit pas et ne se conçoit pas, sauf l’exception de l’individu suprême. La réalité de l’individu lui vient de la matière, non de la matière qui est un universel et entre comme telle dans les définitions et les concepts, mais de la matière concrète, celle qui n’est pas des pierres et du bois en général, mais cette pierre et ce bois. Nous nous heurtons pour la première fois à la dualité du connaître et de l’être, que nous retrouverons sans cesse chez Aristote. Et pourtant il a bien vu lui-même que, si les quiddités et les choses font deux, il n’y aura pas de science des êtres et que ce dont il y aura science ne sera pas[2].


  1. 5, 3 b, 19 : τὸ δὲ εἶδος καὶ τὸ γένος περὶ οὐσίαν τὸ ποιὸν ἀφορίζει· ποιὰν γάρ τινα οὐσίαν σημαίνει. Cf. p. 103.
  2. Métaph. Ζ, 6, 1031 b, 3 : καὶ εἰ μὲν ἀπολελυμέναι ἀλλήλων [il s’agit des Idées platoniciennes, quiddités séparées des choses], τῶν μὲν οὐκ ἔσται ἐπιστήμη, τὰ δ’ οὐκ ἔσται ὄντα. Voir infra, leçon XXI.