Page:Hamelin - Le Système d’Aristote.djvu/418

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leur réalité à la forme, cela, avons-nous dit, importe peu, puisque le premier de tous les êtres est forme pure, de sorte que la suprématie reste inéluctablement à la forme. Cependant il y a quelque chose de choquant dans le fait que l’individu suprême soit une forme pure, tandis que les autres sont des individus précisément par leur matière. C’est là dans le système d’Aristote une incohérence qu’on ne peut nier. Mais il reste à savoir si, tout en étant une vérité historique, elle est aussi une vérité philosophique ; si, en d’autres termes, elle est exigée par l’esprit du système. Il semble bien qu’il n’en est rien. Tout dans le système, nous avons essayé de le montrer, est orienté vers la forme comme aussi vers l’affirmation de l’individu ou, mieux encore, des individus. Le point faible, nullement exigé par la logique de la doctrine, est la théorie de l’individualité. Entre les deux conceptions de l’individualité qui se trouvent dans la lettre d’Aristote, une seule est compatible avec les principes directeurs de la pensée aristotélicienne : l’individualité de Dieu lui vient de ce qu’il se suffit ; c’est parce qu’il a une réalité positive pleinement suffisante, qu’il est un être séparé[1]. Au contraire c’est par des caractères négatifs que s’expliquerait l’individualité des autres individus : ce privilège de l’existence séparée, qui est en lui-même réellement un signe d’excellence et de réalité positive, leur viendrait d’un défaut. Cette manière de voir platonicienne se comprend dans Platon, qui ne place pas très haut dans son estime l’individu. On ne comprend pas qu’Aristote l’ait adoptée. La logique lui aurait conseillé d’en adopter une autre. Il aurait dû, obéissant au mouvement d’ensemble de sa pensée, définir tous les individus par la forme. Par la matière il aurait pu expliquer pourquoi

  1. Métaph. Λ, 7, 1073 a, 4 : … ἔστιν οὐσία τις ἀίδιος καὶ ἀκίνητος καὶ κεχωρισμένη τῶν αἰσθητῶν… Cf. 10 déb. et Κ, 7, 1064 a, 34-b, 1. Le divin est ce qui se suffit, De caelo I, 9, 279 a, 21 : … τὴν ἀρίστην ἔχοντα [sc. τἀκεῖ a, 18, c’est-à-dire les natures divines qui sont au-dessus du premier ciel] ζωὴν καὶ αὐταρκεστάτην… cf. a, 35 ; Éth. Nic. X, 7, 1177 a, 27 : ἥ τε λεγομένη αὐτάρκεια περὶ τὴν θεωρητικὴν [sc. διαγωγὴν] μάλιστ’ ἂν εἴη, et la vie théorétique est précisément celle de Dieu (Métaph. Λ, 7, 1072 b, 14). Cf. aussi Éth. N. I, 5 (7), 1097 b, 7 sq.