Page:Hamelin - Le Système d’Aristote.djvu/96

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il ne peut être question de séparer ces deux disciplines. Mais Ravaisson n’avait peut-être pas tort de les ranger l’une et l’autre parmi les sciences poétiques[1]. Zeller avoue qu’Aristote parle de la rhétorique comme de la théorie d’un art : qu’il fasse de cet art un moyen de la politique, cela ne l’empêche pas d’être en lui-même un art. Aristote dit quelque part que la stratégie est un moyen de la politique et il a dû penser de même de la tactique navale ; or celle-ci a pour instrument les navires que produit l’art, assurément poétique, du constructeur de navires[2].

La seconde objection de Zeller porte spécialement sur la subdivision des sciences théorétiques. Les mathématiques, dit Zeller, ne sont pas représentées dans l’œuvre d’Aristote ; et d’autre part il appelle la physique, par opposition à la philosophie première, philosophie seconde, δευτέρα φιλοσοφία : s’il avait compté les mathématiques, il aurait dû appeler la physique philosophie troisième. — Mais Aristote ne pouvait, ni se dispenser de compter les mathématiques parmi les sciences théorétiques, ni leur faire une place dans sa philosophie proprement dite, dans le système dont ses traités sont l’exposition rédigée. En effet, il réagissait de toutes ses forces contre ces prolongements métaphysiques des mathématiques, qui constituaient toute la philosophie des Platoniciens de son temps[3]. D’autre part les mathématiques, s’étaient en fait, séparées de la philosophie : il y a des géomètres non philosophes au temps d’Aristote. Eudème, l’historien des mathématiques, dit de l’un d’eux, Hippocrate de Chios, que, partout ailleurs qu’en géométrie, il était lent d’esprit et sans intelligence, βλὰξ καὶ ἄφρων, c’est-à-dire sans doute qu’il n’entendait rien à la philosophie (Éth. Eud., VIII, 14, 1247 a, 17). Aristote meurt en 322, Euclide fleurit sous le premier des Ptolémées vers 320. Il suffisait donc pour Aristote de faire une philosophie des mathématiques, et c’est à quoi il ne manque pas.

  1. Essai sur la Métaphysique d’Aristote, I, p. III, liv. I, ch. 2, p. 252.
  2. Zeller, p. 180, n. 2.
  3. Métaph. Α, 9, 992 a, 32 : γέγονε τὰ μαθήματα τοῖς νῦν ἡ φιλοσοφία.