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qu’un tout, un tout fait de parties distinctes ? C’est un nombre. Donc les choses en soi, dans le cas dont nous parlons, devront former un nombre. En somme une pluralité d’unités homogènes est toujours en droit susceptible de former un tout, et ce tout on ne fait que le nommer autrement en disant que c’est un nombre. Tel est, au moins dans son expression originale et primitive (Logique, I, 29) le capital principe du nombre.

Toutefois sans nous occuper encore de son application aux cas particuliers, nous devons, pour achever de le caractériser, pour permettre d’en saisir le sens, indiquer d’une manière générale ce qu’il est appelé à renverser et sous quelle accusation : car c’est vraiment là un complément indispensable de sa définition, un complément qui ne saurait être remis à plus tard. Le principe du nombre est destiné à renverser l’infini actuel et à le renverser pour cette raison qu’un tel infini est contradictoire en lui-même. Il y a, comme on le sait depuis Aristote[1], deux sortes d’infinis : l’infini en puissance et l’infini en acte. L’infini en puissance consiste dans la possibilité d’ajouter toujours à un tout donné et par exemple à un nombre donné, la possibilité de créer un prolongement à une série de termes quelconques en instituant de nouveaux termes jusque-là inexistants. Par exemple la série des nombres est un infini en puissance parce qu’il est toujours possible à l’esprit de créer un nouveau nombre en créant une unité et en l’ajoutant au dernier nombre qui vient d’être conçu.

  1. Cf. Hamelin, Le système d’Aristote, p. 280-286. La distinction de l’infini en puissance et de l’infini en acte sert à réfuter les arguments de Zénon d’Élée. Cf. Aristote, Physique, VI, 9, 239 b, 9 à 33. Cf. aussi Renouvier, Logique, I, p. 49 : Renouvier traduit Aristote de la manière suivante : « À celui qui soulève la question de savoir s’il est possible de traverser les infinis, soit dans le temps, soit dans la longueur, on doit répondre que d’une manière c’est possible, et que d’une autre ce ne l’est pas. S’il s’agit de ce qui est accompli en acte, c’est impossible ; mais c’est possible s’il ne s’agit que de la puissance… » Voy. Aristote, Physique, VIII, 12). Renouvier ajoute qu’Aristote « a raison de ne vouloir compter (dans la ligne continue ou dans le temps) de divisions ou fractions qu’autant qu’elles sont effectuées », ce qui leur donne naissance, « c’est l’acte de la représentation qui les objective. Cet acte seul permet de supposer des possibles infinis qui, réalisés par avance dans l’essence d’un sujet tel que le continu en soi, impliqueraient contradiction ».