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Mais M. Lievens n’avait pourtant jamais cru qu’il aurait dû, certain jour, y chercher un refuge contre la mort…

M. Lievens se calma instantanément.


Un paysan maudissant l’envahisseur.

— Prenons nos dispositions, dit-il, car il se peut fort bien que cette situation perdure pendant quelques jours.

— Nous fuirons dès que le bombardement aura cessé, n’est-ce pas, papa ? dit Berthe.

— S’il cesse, oui… Mais nous devons décompter avec tous les aléas… Allons, ne nous énervons pas…

— Où vas-tu ? demanda Berthe en voyant que son père se préparait à monter à l’étage.

— Je serai immédiatement de retour.

— Prends garde, papa, tu défies le danger…

— Il y a beaucoup de maisons à Dixmude et ce serait vraiment jouer de malheur si une des premières bombes atteignit précisément la mienne, murmura M. Lievens, en gravissant l’escalier.

Il se chargea de matelas et de couvertures et les disposa dans la cave ; il fit sa provision de pain, de viande et d’œufs et dit joyeusement…

— Nous devons organiser quelque peu notre hôtel… Ah, oui, il nous faut encore une lampe…, une hâche, un levier, un marteau, une scie, au cas où nous serions ensevelis sous les décombres.

Il rentra avec une hâche gigantesque, datant du moyen-âge.

— Elle est meilleure que la camelotte de nos jours, dit-il. Si une bombe venait à renverser un des murs, je parviendrai bien à faire une brèche à l’aide de cet instrument…

— Tu me fais peur, papa ! gémit la jeune fille. Tous ces dispositifs lui paraissaient cruels… étaient en corrélation avec la mort et la destruction, et, on aurait pu s’enfuir si facilement et éviter tous ces dangers, qui les menaçaient actuellement.

Mais Lievens ne se départit pas de son calme et disposait des matelas dans les chambres au dessus de la cave, en murmurant :

— Ils amortiront le coup, si une marmite atteignait la maison.

Sa gaieté disparut pourtant lorsqu’il pénétra dans la chambre, où étaient rassemblées ces antiquités.

— Oh, quelle horreur, dit-il, une bombe suffirait pour déduire le tout… Maudits Allemands, qui troublez notre quiétude et notre bonheur !… Oui, vous êtes des barbares, des vandales, et en prononçant ces mots, M. Lievens pensa surtout à ses trésors, qu’il sentait menacés.

Il porta une foule d’objets à la cave, des lampes en cuivre, des tableaux, des magnifiques caissettes artistiquement ciselées, n’écoutant nullement les avertissements de sa fille et ne songeant qu’à son amour pour ses collections…

Soudain la maison vibra jusqu’en ses fondations… Des fenêtres volèrent en éclats, un tableau tomba du mur, des portes battirent, et le sol sembla s’ébranler.

— Jésus-Marie ! cria Pélagie dans la cave.

— Papa ! appela Berthe.

Violemment effrayé, Lievens avait laissé choir un vieux vase en cuivre. Il resta pendant quelques instants, comme figé sur place…

— Ce n’est pas loin d’ici, murmura-t-il.

— Papa ! répéta la jeune fille. Papa, où es-tu ?

— Me voici, mon enfant…

— Viens, descends au plus vite !

— Oui, je viens à l’instant…

Lievens poussa la porte d’entrée de la maison et jeta un regard dans la rue.

Il aperçut à quelque distance un épais nuage de poussière. Un rayon lumineux passa soudain au travers de cette buée grisâtre et un faisceau de flammes en jaillit.

— Mon Dieu, le feu ! le feu dans la rue ! cria Lievens tremblant.

Une nouvelle explosion fit vibrer toute la ville. Des murs s’écroulèrent.

Lievens entendit le fracas d’un éboulement, la chute de poutres, le bris de vitres…

Il ferma violemment la porte et s’élança à la cave où il s’affaissa en pleurant sur un matelas.

— Pauvre petite ville ! sanglota-t-il. Elle doit être anéantie… Ô, ces barbares, ces bourreaux, ces vandales ! Maudits soient-ils par la postérité.

— Papa ! gémit Berthe, et d’un mouvement de pitié elle se jeta à son cou. Fuyons, partons pour Furnes ou pour la France…