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— Mais, papa…

— Je suis convaincu que les Allemands seront refoulés.

— Tu opines maintenant comme les journaux que tu as dénigrés tant de fois.

— Non, mais j’ai la conviction que les Allemands sont refoulés sur Vladsloo, à bonne distance de la ville.

— Papa, Paul ne ment pas…

— Il veut nous faire fuir. La plupart des habitants restent, et moi je me sauverais ! Non, jamais ! Je ne sais et je ne veux pas m’y résoudre ! Mais toi et Pélagie…

— Nous resterons si tu ne nous accompagnes pas, papa.

Berthe aurait désiré dire quelques mots au paysan, mais il était déjà parti.

Mr. Lievens se refusait obstinément à quitter sa maison.

On resterait donc, on attendrait un nouvel ouragan et on s’abriterait à la cave…

La jeune fille devint même quelque peu indifférente…

Si Paul devait braver le danger, elle le braverait également… et elle eut la sensation qu’il y avait ainsi plus d’unité entre eux.

Passive, elle attendrait les événements… elle prierait… c’est tout ce qu’elle pouvait faire…

Le calme planait toujours sur la ville… Berthe se hasarda un moment à la rue…

Un cortège de blessés passa à ce moment.

C’étaient des hommes fourbus, marchant avec difficulté, boitant, s’appuyant au bras de leurs camarades ; d’aucuns, le visage couvert de linges humectés de sang, d’autres, un bras en écharpe…

Tel était l’aspect de nos soldats, sortant de la bataille horrible, qu’ils livraient pour garder le dernier lopin de terre de la patrie.

Berthe eut mal au cœur…

Elle voyait maintenant des soldats, nos fils, nos défenseurs…

Tout ce qu’elle en avait vu jusqu’à présent, n’avait aucune corrélation avec ce qu’elle voyait à présent.

Soudain, elle ouvrit la porte tout grande et de sa voix douce et mélodieuse, elle dit :

— Entrez !

La maison fut aussitôt envahie par les militaires.

— Ce sont d’infortunés blessés, papa, dit-elle.

Mr. Lievens la comprit.

Aidé de sa fille et de Pélagie, il apporta du pain, de la viande, du fromage, du vin, de la bière, des cigares, du tabac, partagea amicalement ses biens, engagea les hommes à bien se régaler, faisant montre d’une large et sincère hospitalité. Mais le trio ne s’en tint pas là, ils quérirent de l’eau et du savon, du linge et de la charpie, lavèrent les plaies, les enduisirent d’onguents, fixèrent des bandages…

La paisible maison était soudain devenue des plus mouvementées…, l’anxiété avait cédé le terrain à l’amour.

Les soldats en étaient pénétrés. Ils parlaient du champ de carnage où tant des leurs étaient tombés et où de nombreux blessés gisaient abandonnés…, le feu meurtrier empêchant qu’on s’en approchât. Ils ébauchèrent également quelques mots par rapport à leurs mères, femmes et enfants, restés au pays où l’Allemand régnait actuellement en maître. Ils devenaient tendres et sensibles en présence de la cordialité qu’on leur témoignait ici.

Mais ils ne pouvaient pas rester ; ils partaient pour Furnes… et à pied, car le chemin de fer était réservé aux munitions et au ravitaillement. Certains étaient pourtant si fatigués qu’ils restèrent néanmoins, se jetèrent sur un matelas et s’endormirent séance tenante.

D’autres blessés passèrent par petits groupes, de trois, de six, de dix. Berthe les invita également, cherchait force nourriture dans les magasins encore ouverts et poursuivit ainsi son œuvre de charité.

Mais soudain le bombardement recommença et on se réfugia aussitôt à la cave, les soldats