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— Et vous, lieutenant ?

— Je suis le chef…

— Et moi, je ne sais pas me reposer… Quand arriveront donc les secours, lieutenant ?…

— Les Français approchent…

— Mais est-ce bien vrai ?

— Nous ne connaissons qu’un ordre : résister jusqu’à leur arrivée. Dieu fasse que nous y parvenions…

Verhoef regardait dans la direction de Dixmude où un immense incendie rougeoyait le ciel.

— Berthe, aurait-elle fui ?

— Pauvre Dixmude, dit Antoine, saisissant la pensée de son chef.

— Oui… Tes parents habitent également l’agglomération, Antoine…

— C’est ce qui me soucie le plus, lieutenant… si j’avais la conviction qu’ils étaient en sûreté !… Mais cette incertitude… Nous sommes soldats, mais eux…

— Et quelle aura été la décision de Mr Lievens ? Oh, je le connais… L’autorité militaire aurait dû faire évacuer toutes ces communes.

— Oui…

Ils se turent un moment…

L’infanterie était couchée, là, dans les tranchées. La mort les épiait de toutes parts et les secours tardaient et pourtant peu d’entre eux songeaient au danger qui les menaçait personnellement…

Mais quel était le sort actuel du père, de la mère, de l’épouse, des enfants, des sœurs, de la fiancée là-bas au pays occupé dont ils étaient séparés par un cordon de feu ? Et que se passait-il dans les villages disposés sur le front où l’airain crachait la mitraille ?

Ce n’étaient pas des militaristes élevés dans un milieu où l’on causait toujours de la guerre et où on envisageait l’éventualité d’une friction armée, c’étaient de paisibles ouvriers, des hommes de peine, des travailleurs, des marchands, des fonctionnaires et des employés, des gens imbus d’idées pacifiques. Et ils n’avaient abandonnés la tâche, leur emploi, leur gagne-pain que pour défendre la liberté et protéger le foyer et la famille.

Ils faisaient leur devoir et davantage et le poète le chanta en ces termes :

Le peuple belge n’est pas guerrier
Il vit en paix et à ton aise,
Mats gare à ceux qui le lèsent
Et qui l’entraînent dans un bourbier.

Cette effusion de sang les révoltait, les peinait… on songeait au foyer, à l’atelier, au bureau, à l’échoppe, au magasin : on songeait à cette existence familiale jadis si heureuse chez les parents et parmi la femme et les enfants, et les cœurs escomptaient la paix, la paix salutaire et grandiose !

Vivre en paix…

Le peuple belge est franc
Et chacun, petit et grand,
Dans la mesure de ses moyens
Battra les vies et maudits chiens.
Nul roi ne trouva jamais
de plus fidèles sujets,
Mais tout joug étranger
faisait flamboyer l’épée.

Et voilà pourquoi ils se trouvaient en ces lieux, unis et forts, décidés à ne pas souffrir l’esclavage, ne tolérant pas qu’un royaume puissant vînt troubler leur existence paisible, violer leurs foyers, fouler leurs droits et leurs libertés.

Le peuple belge, de tous leu pays,
travaille la terre la plus fertile,
C’est le plus beau sol qu’oncques ne vit
Et il peut dire d’un cri fébrile,
Que nul jamais ne lui arrachera
Par les armes, ce qui est son droit.

Non, il ne cédera pas à la force, il résistera fièrement et il se battra jusqu’à la mort, il luttera jusqu’à épuisement.

Pourtant la tristesse leur voilait les yeux…

On songeait au foyer où des soldats allemands allaient et venaient, où ils ordonnaient et défendaient, où ils avaient si effrontément planté leur drapeau. On voyait les enfants dans le berceau et la mère attristée pensant au père… on voyait le père et la mère en larmes causant du fils, on voyait la fiancée qui attendait…

Oh, non, ce n’était pas le repos… Mais on éprouvait cependant une agréable sensation à laisser flotter ainsi son esprit, quoique ce ne fut qu’une triste méditation…

Soudain on sonna l’alarme…

Tout le monde était sur pied…

Les Allemands lançaient à nouveau leurs troupes vers l’Yser…

Mais les nôtres avaient repris leur calme, leur froide ténacité qui ne souffrait pas le joug étranger…

Ils visèrent tranquillement… les fusils crépitèrent et les balles firent de larges trouées dans les rangs allemands arrivant fougueusement à l’assaut…

L’attaque fut repoussée…

Mais par delà la rivière on entendait les plaintes et les gémissements des blessés…

Chez les nôtres également des semblables douleurs se manifestaient et le sang coulait.

— Père, Mère !

— Ma femme… Mes enfants…

— À boire !

— Au secours ! Au secours ! Pitié !

— Maman, Maman ! je meurs.

Verhoef entendait tous ces gémissements et ces lamentations.