Aller au contenu

Page:Hans - À L'Yser, 1919.djvu/38

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 36 —

à une échelle adossée à la grange étaient suspendus des pans de viande.

Mais Deraedt devait se taire et se maîtriser… Les Allemands étaient les maîtres de sa ferme…

L’attelage étant prêt, quelques soldats y prirent place.

— Nous te montrerons le chemin, dirent-ils.

Le fermier conduisait.

C’était un trajet dangereux qu’il avait à faire… Deraedt tremblait de peur. Les chevaux étaient craintifs à cause des explosifs qui éclataient de toutes parts et on éprouvait maintes difficultés pour les maîtriser.

Mais le chemin quitta bientôt la ligne de feu et on s’arrêta soudain devant une ferme transformée en ambulance.

— Mon Dieu ! s’exclama le paysan envoyant une foule de blessés.


Le roi Albert et le maréchal Joffre dans un village
derrière le front.

On les apportait sur des brancards, sur des chariots, dans des autos…

Des filons de sang maculaient l’herbe… le parvis et le seuil de la maison… On entendait des gémissements… des cris d’angoisse, de douleur…

Des blessés étaient couverts de sang… méconnaissables… des jeunes gens étaient brisés, défigurés, mutilés…

— Est-cela la guerre, Seigneur ? gémit Deraedt.

Et il pensa soudain à son fils… Des larmes lui jaillirent des yeux…

On sortait des hommes…

— Morts, dit un soldat…

Deraedt suivit les brancards des yeux… Un peu plus loin des civils creusaient une grande fosse…

— Un tombeau… murmura le fermier. Que c’est cruel et horrible… Oh, mon pauvre fils ! Vois-tu aussi ces scènes atroces et terrifiantes ?… Et pourquoi pas… Oh, femme, que je suis heureux que tu sois partie !…

Mais sa terreur augmenta…

Des soldats transportaient une masse sanguinolante sur un van… Deraedt vit des bras et jambes fraîchement sectionnés. Une profonde aversion l’envahit… Il détourna les yeux…

— Oh, malheur ! sanglota-t-il. Quelles abominables cruautés !… Que diraient donc les parents, les femmes ou les enfants de ces infortunés s’ils étaient témoins de ces scènes poignantes et écœurantes !…

Il n’y avait aucune trêve, les blessés affluaient sans relâche… Et à l’intérieur les chirurgiens ne cessaient de manœuvrer le bistouri, les petites scies, les sondes…

Si on l’y avait autorisé, Deraedt n’aurait pas osé pénétrer à l’intérieur de cet antre de dépeçage, qui lui paraissait être affreux quoique le drapeau sacré de la Croix Rouge flottât sur le toit de la maison !

Et cette habitation était une ferme paisible, il y a quelques mois, où le travail était réglé et réparti et où, le soir venu, on rendait grâce à Dieu pour l’heureuse journée !

Mais malmenant…

Et tout ce qui passait n’émanait pourtant que de la volonté humaine !

— Qu’as-tu fait Allemagne ! murmura Deraedt… Et quels coups te portes-tu par ricochet… Que reste-t-il de la jeunesse de ton pays et de la nôtre ! Pourquoi as-tu entraîné nos malheureux fils sur cette pente néfaste !… Oh, Antoine, mon fils, tu te bats également dans ce bouleversement général…

Mais Deraedt dut partir… et il n’en fût pas fâché…

On fit une couche de paille sur la charrette et on y posa des blessés… C’étaient pour la plupart des jeunes gens dont les bras, les jambes ou la tête étaient couverts de pansements. Ils gisaient inertes ou gémissaient en silence…

Deraedt aiguillonna les chevaux… Il devait aller à Ghistel…