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A) Le 1er bataillon à Saint-Jacques-Cappelle et Pervyse.

Le 1er bataillon s’établit d’abord dans des tranchées de repli près de Nieucappelle. Le 21, il allait occuper sur un front de 400 mètres, avec deux compagnies en première ligne et deux en réserve, les tranchées du canal, depuis la borne 21 jusqu’à une ligne fictive réunissant les clochers de Saint-Jacques-Cappelle et de Woumen. Le bataillon Delbauve y demeurait jusqu’au lendemain dans la nuit, soumis aux fréquents bombardements de l’artillerie ennemie, vigoureusement contrebattue du reste, par la nôtre.

Malgré l’obligation de bivouaquer la nuit dans les tranchées mêmes, les braves chasseurs ne perdirent rien de leur valeureux entrain. Il eût fallu les voir, quand plusieurs obus tombés dans le canal y eurent assommé de nombreux poissons, se livrer, au soir tombant, avec une joie d’enfants, à une pêche aussi fructueuse qu’inattendue. Et quelle bonne friture on se paya cette nuit-là dans les tranchées…

Mais les heures tragiques allaient sonner. Le 22 octobre, en effet, il s’était passé sur l’Yser un événement d’une gravité extrême. L’ennemi, dont tous les efforts pour s’emparer de Nieuport et de Dixmude avaient été vains, était parvenu, après avoir écrasé les défenseurs de Tervaete sous un feu convergent, à faire irruption en ce point sur la rive gauche. Des combats d’une violence inouïe, où nos soldats firent preuve d’un héroïsme quasi surhumain, furent engagés à partir de ce moment sur tout le front qui va de Schoorbakke à Oud-Stuyvekenskerke pour opposer une digue au flot allemand déferlant par la boucle de Tervaete. Le commandement appela dans la zone si gravement menacée toutes les réserves disponibles.

C’est ainsi qu’à l’aube du 23, le bataillon Delbauve fut relevé dans ses tranchées de Saint-Jacques par le 2e chasseurs à cheval et dirigé en hâte au nord-est de Pervyse. Après avoir passé la journée en réserve, dans des tranchées à peine ébauchées, il fut appelé le soir même en première ligne, devant la boucle de l’Yser, au nord de Stuyvekenskerke. Il y travailla toute la nuit à améliorer ses positions, dans le fracas des explosions d’obus et des éclatements de shrapnells qui sillonnaient la nue sombre d’éclairs fulgurants.

À l’aurore du 24 octobre, la lutte d’artillerie redoubla d’intensité, faisant présager une attaque imminente. Il était à peine 7,30 h., en effet, quand la fusillade ennemie crépita contre les troupes avancées, particulièrement vive sur leur droite. Sous la pression allemande de plus en plus accentuée, des unités de grenadiers très exposées durent petit à petit se replier. L’effort ennemi se portait visiblement sur Stuyvekenskerke, menaçant de couper la retraite au bataillon Delbauve. Le village même flambait déjà, torche gigantesque. Victimes de la fusillade enragée, des hommes tombaient par dizaines. Atteint par une balle, le capitaine Leclef, commandant la 1re compagnie, devait se faire évacuer et remettre son commandement au sous-lieutenant Michaux.

Se rendant compte de tout ce que la situation offrait de critique, le major Delbauve venait à peine d’envoyer son adjudant-major, le lieutenant Biévez, avertir ses sous-ordres, qu’un obus éclatant près de lui le projetait violemment sur le sol. Sous l’effet de la commotion et de l’asphyxie provoquée par l’action nocive des gaz, son ancienne blessure mal cicatrisée s’était rouverte. Une hémorragie interne se déclarait, qui, malgré les protestations du vaillant chef, obligeait à le transporter vers l’arrière. Il ne tardait pas à rendre le dernier soupir, se lamentant jusqu’au bout d’être réduit à l’impuissance devant le danger grandissant. Le régiment perdait en lui un de ses meilleurs et plus braves officiers, qui s’était voué corps et âme, avec un dévouement infini, à sa rude et glorieuse tâche.

Le commandant Borlée se vit alors confier, en cette phase critique, le commandement du 1r bataillon.

Le tout jeune sous-lieutenant Beyaert prit sa place à la tête de la 2e compagnie. Épargné par miracle à Pervyse, cet excellent officier devait tomber en brave aux tranchées de Dixmude, quelques mois plus tard, le 4 mars 1915.

Vu l’impossibilité de se maintenir sur les emplacements occupés, le commandant Borlée ordonnait à son bataillon de se replier derrière le talus du chemin de fer, sous la protection de la 4e compagnie (capitaine Marquette). Là, il reprit place dans les tranchées sommaires qu’il avait précédemment creusées au nord-est de Pervyse, et y demeura les 25 et 26 octobre, en