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On entendit des cris épouvantables… Des blessés luttaient avec la mort, hurlaient, imploraient protection jusqu’à ce que l’eau étouffa leurs voix. Les Wurtembourgeois rebroussèrent chemin en une fuite éperdue, tâchèrent d’atteindre des positions plus élevées, s’agrippèrent à des branches, à des arbustes, mais les canons crachaient d’autre part la mort par-dessus la houle.

Les flots berçaient les cadavres et semblaient s’amuser à ce jeu cruel…

L’artillerie devait être ramenée en arrière et les chevaux qui les touaient étaient furieusement cinglés de coups de fouet.

L’eau poursuivait sa course furibonde. Toute la contrée de l’Yser se transforma en une immense nappe liquide d’une nuance noirâtre qui renfermait un deuil dans son sein !

C’était la guerre.

Jadis, lorsque la tempête rompait les digues et que l’eau déferlait dans les polders, on secourait les infortunés surpris par le torrent et on tâchait de les arracher à la mort…

Mais on subissait actuellement les affres de la guerre… la mort devait s’approprier un butin… et la mitraille habilement lancée, coupait la retraite aux Wurtembourgeois.

La vallée de l’Yser était transformée en une immense tombe groupant de jeunes et robustes gars, dont les cadavres se figeraient derrière des arbres et des digues, s’enliseraient dans la boue et l’ivraie, se déposeraient près de maisons et de fermes détruites, y exhaleraient des odeurs nauséabondes et attireraient les oiseaux de proie…

On était au mois de novembre, le mois du deuil… Les brouillards tisseraient bientôt un voile opaque sur la nappe ruisselante… sous peu les vents hurleraient et mugiraient, arracheraient des cadavres aux flots et les pousseraient vers les vivants en guise de cruel défi, symbolisant un présage lugubre.

Ce serait la période des courtes journées et des longues nuits…

Les ruines, des tours et des fermes étaient grisâtres ainsi que l’immense nappe liquide et que l’uniforme des Allemands auxquels on avait imposé la halte dans la contrée qu’ils avaient violée par un superbe été irradié par un joyeux soleil.

Coûte que coûte !

La dernière résistance coûtait cher… mais la petite armée au roi illustre, resplendissant de gloire, ne cédait pas le pas !

Les ambulanciers avaient été surchargés de besogne et les maisons et immeubles sis derrière le front de l’Yser regorgeaient de malades et de blessés.

Le lieutenant Verhoef y était aussi en traitement. Un éclat d’obus lui avait brisé la jambe droite.

Il gisait sans connaissance dans une ferme du pays de Furnes. Il allait être examiné… Des soldats le portèrent chez les médecins manœuvrant sans répit le bistouri, les sondes et tous leurs cruels instruments, fouillant les chairs saines méchamment violées…

Verhoef se trouvait maintenant dans la salle des chirurgiens…

Et quelques instants plus tard une jambe sanglante tomba dans un panier… c’était la jambe droite de Verhoef.

Une auto conduisit illico le malheureux mutilé à Furnes…

Il y prendrait du repos… Sa vie était encore en danger… La mort le guettait toujours…

Et à Oostkerke-lez-Furnes, Berthe Lievens, toute éplorée par la perte de son père, souffrant les transes de l’angoisse par rapport à son fiancé qu’elle désirait ardemment voir et qu’elle supposait toujours être dans cet enfer d’où partait sans cesse un violent bourdonnement, attendait et pleurait.

La foule des blessés passa également par Oostkerke, mais la jeune fille était impuissante pour continuer son œuvre de miséricorde.



XIII.

Expatrié.


On portait le lieutenant Verhoef dans le train à destination de Dunkerque. Il était parmi des frères d’armes, tous gravement blessés. D’autres compartiments groupaient des soldats que la mitraille avait moins cruellement éprouvés. C’était un triste convoi… Verhoef avait séjourné à Furnes pendant quelques jours, mais le flot des blessés venant de l’Yser ne tarissait pas et il fallait faire place pour les nouveaux arrivants. Le jeune homme était encore très faible mais ses idées étaient plus claires et se reportaient sans cesse vers l’aimée…

Où était-elle ?

Verhoef avait vu des fuyards de Dixmude. Il les avait questionnés mais nul ne put répondre à ses questions.

Les lamentations concernant la malheureuse petite ville étaient multiples… les récits des incendies et de la destruction étaient légion… d’innombrables narrations relatives au danger imminent auquel on avait échappé et des détails ayant trait aux difficultés de la fuite constituaient le fond des tribulations exposées… mais chacun de ces infortunés avait suffisamment à s’occuper de soi-même et n’avait pas eu l’occasion de s’intéresser au sort d’autrui…

Les fuyards étaient légion, mais l’aimée n’était pas parmi eux !

Et le lieutenant quittait maintenant le pays… la patrie…

Le train s’ébranla, sortit de la station, côtoya