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Et n’entend votre voix ci-bas,
Mais on ne vous écoute pas,
On passe, on ne s’arrête pas…
On va où la passion conduit,
Où l’or ou la fortune luit ;
Votre chant est beau, mais il n’est pas
Ce que la masse comprend ici-bas,
Ô, chers roseaux bruissants.

Ô, doux murmure des joncs bruissants
Rayonne en mon triste chant
Et aille à Toi, ô, Tout-Puissant
Qui nous fait vivre un instant !
Ô, Toi qui aime la voix plaintive
D’une tige frêle et maladive,
Écoute donc le chant bien triste
Du jonc malade qui contriste…

Que c’est beau, dit Berthe émotionnée…

— Oui, c’est beau, c’est d’une beauté sereine, dit Verhoef. Nous comprenons maintenant le chant attristé du poète… Nous n’avions pas le temps d’écouter la voix des roseaux bruissants, nous faisions la chasse à l’or, aux affaires, nous ne nous intéressions qu’à la matière… et nous ignorions que nous n’étions en réalité que les roseaux, qui ployaient au gré du vent… Mais la guerre est survenue et a abattu tant de choses que nous croyions inébranlables, a cassé des milliers de roseaux… C’est une crise terrible pour notre pauvre petit pays… Espérons que du mal naîtra le bien et que nous aurons une Belgique indépendante, plus belle et plus sereine… Dieu ne repoussera pas notre prière, celle du jonc malade qui contriste… Ils sont légion ceux qui comme nous attendent en soupirant… Tu veux faire œuvre de miséricorde…

Patiente, ma chérie, jusqu’à ce que tu sois plus forte, tu as fait plus que ton devoir… Les questions se heurtent et s’embrouillent. Tous nous attendons ici et par milliers les nôtres nous attendent au pays… Mais soyons confiants… espérons… Dieu bénira la malheureuse Belgique…

L’avenir sera peut-être encore plus sombre, mais une confiance ardente, une ténacité inébranlable aideront les nôtres en la victoire…

Et lentement les jeunes fiancés rentrèrent en ville…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


La bataille de Haelen

(12 AOÛT 1914).


Nous détachons du livre « Récits de Combattants » ces pages émouvantes, dans lesquelles le colonel Baltia, chef d’état major de la Ie division de cavalerie, raconte l’épisode glorieux de la bataille de Haelen :

Depuis plusieurs jours déjà, des détachements de cavalerie ennemie sont venus audacieusement tâter en tous ses points notre ligne de défense de la Gette ; partout ils l’ont trouvée bien gardée.

Aujourd’hui, 12 août, l’ennemi s’est renforcé partout, nous disent nos intrépides reconnaissances d’officiers de guides et de lanciers, et nous avons l’impression assez nette qu’il va tenter un effort sur Haelen pour y percer notre ligne.

Nous sommes sur nos gardes ! et si réellement la division de cavalerie allemande espère passer par là, elle y rencontrera la masse principale de la division de cavalerie de l’armée belge. Elle nous croit échelonnés, comme les jours précédents tout le long de la rivière, depuis Diest jusqu’à Drieslinter, mais elle ignore que, par une habile manœuvre, le lieutenant général de Witte, ne laissant aux points de passage secondaires que le minimum de forces, s’est constitué une réserve imposante, prête à foncer sur l’ennemi.

Pendant que cette masse se forme, le général de Witte remet entre les mains du colonel du 5e lanciers l’étendard que ce régiment de nouvelle formation vient de recevoir. Le jour même cette vaillante troupe mérite l’honneur de faire inscrire « Haelen » sur la soie encore immaculée.

Le terrain du combat.

Le soleil, qui à son lever paraissait maussade, éclate maintenant dans toute sa splendeur, éclairant les fermes et les métairies blanches égrenées le long de la route qui réunit Loxbergen à Haelen, en serpentant entre les champs fertiles, garnis encore en partie de leurs riches récoltes de blé et d’avoine. Le quartier général de la division a mis pied à terre à la lisière de Loxbergen, d’où la vue s’étend au loin. À gauche, une vallée étroite dans un encadrement de peupliers et de saules ; çà et là émergent quelques toits rouges.

Sur la croupe qui domine la vallée, une batterie belge s’est installée.

Les clochers de Diest lancent leur sonnerie claire et recueillie, au loin se profile dans le ciel le petit clocher trapu de Haelen. Cette bourgade, hier encore ignorée, sera le témoin de l’effort violent et brutal que fera la cavalerie allemande pour déloger la cavalerie belge et s’ouvrir le chemin vers le cœur du pays, après avoir gagné le flanc de l’armée belge que couvre la division de cavalerie. Les Allemands escomptent bien, pour aujourd’hui, une revanche de tous les succès que la division belge a obtenus pendant les huit premiers jours de la campagne. Ils espèrent tirer vengeance des Belges, qui leur ont enlevé toutes leurs reconnaissances, leurs patrouilles, leurs postes de liaison et leurs centres de renseignements, et ont désorganisé leur savant mais fragile réseau de découverte.

Les premiers coups de fusil.

Bientôt des lueurs d’incendie apparaissent, c’est le signal donné par les reconnaissances allemandes pour annoncer aux leurs que nous sommes en travers de leurs projets.