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le butin abandonné par les Allemands. Le sergent Gilman, de la compagnie du capitaine Hans, accompagné de quelques chasseurs et d’une patrouille de fusiliers marins, ramena ainsi deux mitrailleuses, qu’en allant relever des blessés ennemis, le Dr Van der Ghinst avait découvertes, cachées sous une meule de paille. Plus de deux cent cinquante fusils aussi furent ramassés devant le seul front de la compagnie Hans, sans compter les casques, les sacs et les cartouchières encore bondées. La cueillette abondante de ces trophées réjouit suffisamment le cœur de nos hommes pour leur faire oublier un instant les rigueurs d’une situation qui n’allait pas tarder à devenir fort pénible.

Car les chasseurs commençaient à souffrir de la faim et de la soif. Le ravitaillement en vivres, et surtout en boisson, n’avait pu être organisé jusqu’alors ; il avait fallu déjà réaliser des prodiges pour apporter des cartouches aux unités combattantes.

Les hommes n’eurent donc rien d’autre à se mettre sous la dent, depuis vingt-quatre heures qu’ils étaient aux tranchées, que les vivres de réserve, dont quelques-uns d’entre eux disposaient encore. Ils se les partagèrent en frères, plaisantant même à propos de leur misère. Tapi derrière une tombe, dans le cimetière de Dixmude constamment arrosé par les shrapnells, un petit chasseur s’escrimait avec la pointe de sa baïonnette contre une boîte de « Plata » retirée de sa besace. On l’entendit tout à coup prononcer un juron amusé :

— Nom d’une pipe, elle est hors d’ordonnance ; on y a mis des prunes !

Et, tout guilleret, le brave s’en fut montrer à son capitaine sa boîte de conserves, où deux balles de shrapnell s’étaient logées.

Comme, malgré tout, les faibles ressources dont on disposait laissaient encore bien des ventres creux, quelques braves se mirent en quête d’un peu de subsistance dans les maisons les plus proches éventrées par les obus.

Entre les lignes allemandes et les nôtres, une ferme aux trois quarts démolie dressait ses pans de mur calcinés. Se glisser jusque-là, avec des ruses d’Indiens sur le sentier de la guerre, fut presque un jeu pour une patrouille que guidait un officier. Elle y parvint sans avoir attiré l’attention des Boches et se mit en devoir de fouiller les ruines. Une trappe fut aperçue, qui donnait accès à la cave ; à la lueur d’allumettes, l’exploration commença. Mais les Boches devaient avoir passé par là, car on ne découvrit rien d’abord.

Soudain, presque cachée derrière un tas de paille, un énorme pot de grès attira les regards de l’officier. On juge de sa joie quand, y plongeant la main, il retira du vaste récipient quelques salaisons de porc, précieusement conservées, sans nul doute, comme provision d’hiver par les fermiers.

À cette découverte, un des chasseurs, paysan flamand originaire des environs de Poperinghe, eut presque un cri de victoire. Se débarrassant de sa capote et retroussant jusqu’à l’épaule la manche de sa chemise, il se précipita vers l’officier, le bouscula même un peu dans son affairement :

— Laissez seulement, ma yeutenant, ça me connaît, savez-vous !

Et plongeant dans l’énorme pot son bras droit, qui y disparut tout entier, il en retira triomphalement un superbe jambon en s’écriant : « Qu’est ce que j’avais dit, hein ! Chez ceuss’ de mon village c’est toujours tout au fond qu’on met les fins morceaux ! »… Inutile de dire qu’on fit bombance à la compagnie, ce soir-là.

Le soldat Payen, parti vers Dixmude à la recherche d’un peu de boisson, eut une expédition plus mouvementée. Il avait avisé, lui aussi, sur la route, une maison d’aspect cossu, et délibérément, voyant toutes les portes ouvertes et la demeure abandonnée, il était descendu dans la cave. Mais à peine eut-il mis le pied sur la première marche, qu’une explosion d’obus, suivie bientôt d’une deuxième, le précipitait jusqu’au bas de l’escalier, peut-être un peu plus vite qu’il ne l’eût souhaité.

« Tout de même, » comme il le racontera plus tard à ses camarades, « je n’allais pas m’arrêter pour si peu de chose, d’autant plus que j’étais précisément arrivé dans le cellier. Derrière un grillage de fer, soigneusement cadenassé, s’étalaient des bouteilles de vin bien rangées. J’eus un moment d’hésitation, d’abord, à l’idée que pour atteindre aux flacons, il me fallait forcer une serrure, tel un cambrioleur ; mais en songeant aux copains qui crevaient de soif là-bas, sous les obus allemands, et me disant aussi que si les Belges propriétaires de ce vin avaient été là, ils m’auraient de grand cœur tout donné, je me mis en devoir de faire sauter le cadenas à l’aide de ma baïonnette.