Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/222

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regret ; et, presque sans pensée, ruminant son reproche, hébété, il avait cent fois redit : « Quel dommage de ne pas être parti plus tôt… Rien ne me retenait… Ah, si j’étais parti !… »

Maintenant, la plaine était toute bleue ; les étoiles semblaient heureuses : on n’entendait nul bruit.

…Un instant elle l’avait repoussé ; n’avait-elle pas crié : « Je ne veux plus. » Il entendit cette voix comme une prière : trop tard, oh, trop tard ! Elle avait dit encore : « Je commençais à t’aimer, à force… » Assez ! Il chassa ces souvenirs avec un cri de bête, et se hâta, comme pour fuir plus loin, et laisser derrière lui ce qu’il portait en lui.

L’irrévocable ! Il appartenait à la chose accomplie. N’y aurait-il pas moyen de détruire ce passé ? Que ce qui était ne fût pas, pas encore !… Être moins vieux de quelques heures, pour s’arracher la vie, avant ! — Avant quoi donc ? — Ce n’est pas vrai, je n’ai pas fait cela, non ! — Si, tu l’as fait ! L’irrévocable !

Il n’osait pas songer à Pierre. Il souffrait trop intensément, pour que sa pensée pût se fixer sur un point quelconque de son crime ; peu d’idées, mais des images. Il revoyait le pavillon et les meules de foin, un coin du parc, la chambre où il était monté la veille, le salon, une servante, un autre coin du parc, le Palais des Beaux-Arts, et les meules, toujours les meules ! Il rencontrait Pierre et se sauvait… Jeanne !

— Je l’ai donc eue, cette gueuse ! Elle a joué de nous comme elle l’a voulu. Je la détestais ! Elle le sa-