Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/295

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Était-ce donc possible ?

Il n’eut pas un instant d’indignation ni de révolte : il ployait sous le destin, sous une force inexpliquée contre laquelle on ne discute pas, et qui courbait sa volonté après avoir courbé celle des autres.

À intervalles égaux, comme les appels renouvelés d’un glas, son cœur, lamentablement, disait : « Seul ! »

La journée se passait ainsi.

À la fin, pourtant, il pensa ; et lui qui n’avait rien su remarquer des choses, rien soupçonner, rien deviner, comprit tout dès qu’il voulut comprendre.

Le voile était tombé ; la raison prenait sa revanche.

Avec une lucidité cruelle, le passé défilait.

Les inquiétudes de Georges, ses longues tristesses, ses départs toujours projetés, sa disparition de la veille, ses fièvres, ses larmes, ses mots inachevés qui voulaient être le commencement d’un aveu ; tout lui revenait à la mémoire et chaque souvenir en expliquait un autre. La vérité surgissait, nette, froide, claire, avec une précision subite qui ne laissait dans l’ombre aucun mystère ; puis elle s’étalait d’ensemble, comme une carte déployée. Il savait quel jour et à quelle heure Georges avait succombé, sous quelle influence on avait, sans amour, résolu de le prendre, et dans quelle colère on l’avait dénoncé.

Il n’analysait pas : les choses se dégageaient, se montraient, spontanément en quelque sorte, et s’affirmaient avec la sécheresse d’une formule algébrique : devant la solution apprise, son imagination, ou plutôt