Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/342

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— Le Maroc ?

— Non plus.

Georges considéra : « L’Italie est impossible, ils y ont fait leur voyage de noces. » Mais il proposa dix voyages, proches ou lointains : Arsemar refusait toujours.

À bout d’inventions, il se résigna enfin à nommer le pays qu’il redoutait.

— Tu ne penses pas à te rendre…

— Où ?

— En Italie…

— Si !

Desreynes fut épouvanté ; il tenta quelque résistance infructueuse : il fallait partir.

Arsemar eut une grande joie de cette résolution, et une immense volupté. Il allait donc pouvoir se jeter éperdument dans toute sa misère, s’y rouler à l’aise et sans répit, s’y abîmer et s’y noyer ; il allait la boire et la respirer : dans cet air empesté d’amour, il s’en imprégnerait par tous ses pores. Rien ne lui proposerait l’oubli ; tout crierait de souffrir ! Il en avait assez, de ce lâche bannissement, de cet exil hors de soi-même, de cette tension malingre à éviter tout ce qui le hantait. Puisque l’homme ne peut s’arracher de son moi, qu’il ait du moins le courage de le regarder en face !

Car nous sommes plus avides encore de nos souffrances que de nos joies, et quand on a bu du malheur, on presse la coupe pour en faire tomber quelque goutte nouvelle, et n’en rien perdre.