Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/350

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— Jeanne…

Il redisait ce nom à chaque instant, si bas qu’il l’entendait à peine ; mais le penser seulement ne lui suffisait plus. D’autres fois, pauvre fou, il murmurait son propre nom, pour se donner la caresse d’une illusion, et se dire qu’elle était là, et l’attirait vers elle.

Il se roulait dans des extases visionnaires.

Un jour, le poppe se départit de sa discrétion muette, et, le voyant si triste, osa dire :

Venezia senza femina non é la Venezin.

— De quoi vous mêlez-vous, insolent !

Il descendit dans la gondole.

Non ! Ce n’était plus Venise, la ville des baisers, tiède et molle, reine des langueurs ! La cité sans bruits et sans cris, où la vie des passants glisse sans qu’on l’entende, dégage l’amour ou la mort ; et le silence, selon l’âme qui s’y recueille, y devient tour à tour celui des alcôves ou des tombes.

— Jeanne…

Il croyait qu’elle allait le rejoindre, à force d’être rappelée ; il écoutait les vents de l’ouest ou regardait au ciel les nuages qui pouvaient arriver de la France ; et, la nuit, il contemplait les constellations qui brillaient sur elle et sur lui.

— Pense-t-elle à moi ?

D’abord, il avait espéré qu’au moins la honte et le chagrin, dans ce cœur de femme, subsisteraient assez pour rendre l’oubli inaccessible ; il voulait vivre en