Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/367

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ne pas lui permettre une minute de solitude intérieure, dès qu’il n’était pas sûr de la direction que prendraient les pensées ; il pesait d’avance chacune de leurs démarches ou chaque phrase, afin de ne rien réveiller de ce qu’il fallait assoupir ; la tâche était ardue, car l’instinct du malheur veut tout rapporter à lui-même, et ce qui nous distrairait n’est qu’un chemin détourné pour revenir en nous : mais Georges ne faiblissait pas dans son rôle, et s’efforçait parfois d’amener le rire sur le visage de son ami ; rire plus souvent ironique et cruel que bonnement joyeux ; n’importe, il y réussissait entre temps.

Cependant, les tendances paradoxales et caustiques s’accentuaient de plus en plus dans l’esprit d’Arsemar. Le jour où l’homme ne croit plus à son âme est la veille du jour où il ne croira plus à rien. Pierre s’entretenait dans sa rigueur acerbe avec une persistante complaisance : il traversa alors une véritable maladie cérébrale dont les excès finirent par alarmer Desreynes.

Leur promenade favorite était à Santa-Croce : ils se trouvaient chez eux, dans la fréquentation des tombes ; Georges conduisait volontiers son ami dans l’église claustrale, où tant de morts glorieux rappelaient leur ouvrage et forçaient la méditation. Arsemar ne manqua pas une fois de s’arrêter devant le monument d’amour élevé dans le saint lieu. « À Alfieri, sa maîtresse, comtesse d’Albany. »

— Ah, disait-il, l’homme est couvert de préjugés