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L’HYMNE DES NOYÉS




La Seine se déploie en frémissements vagues
Où le reflet du gaz agite un rouge éclair,
Tandis qu’un courant fuit dans la fuite des vagues,
Plus opaque et pourtant plus clair ;
Il glisse, lourd comme une lave,
Sur le flanc des piliers qu’il lave,
Et voici qu’un hymne humble et grave
Monte dans l’air.

« Nous sommes les noyés des grandes nuits lascives,
Les doux inachevés, les chauds et courts destins ;
Nous sommes le flot blanc des races convulsives
Qui jaillit des soirs aux matins :
Nous ruisselons comme des fleuves,
Fils de nonnes et fils de veuves,
Fils de vierges prudemment neuves,
Fils de catins.

« Pollen des lits bourgeois et des ennuis nocturnes,
Fleurs d’amour, fleurs sans fruit des soirs sans lendemain,
Nous chantons notre glas dans l’eau froide des urnes,
Au clapotis rose des mains ;
Nous passons sans que nul nous voie,
Mais avant d’être ceux qu’on noie,
Nous noyons dans des mers de joie
Les cœurs humains.