Page:Haraucourt - La Peur, 1907.djvu/110

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
86
LA PEUR

vous caresse la joue, et l’on compterait les poils sur la peau du monstre qui disparaît dès qu’on l’a constaté…

Je ne saurais, mieux qu’à cela, comparer les mornes instants de mes heures, des douze heures que le drame a duré, et si je vous fais tout d’abord cette comparaison, c’est pour m’excuser d’une incohérence inévitable : comment présenter en bon ordre des minutes indistinctes et sans nombre qui s’enchevêtraient en moi, pareilles à des nœuds de serpents, roulées et tordues, n’ayant ni commencement ni fin. Cela fut-il avant ceci ? Je ne sais pas bien. Je crois savoir, et jamais je n’ai su. J’avais perdu la notion de la durée, et je serais incapable de dire, en bonne foi, si ce cauchemar vécu m’a semblé très long ou très court, car il fut l’un et l’autre ; en effet, j’ai, d’une part, la sensation d’être demeuré dans cet enfer pendant quelque existence totale, très pleine quoique très monotone ; et j’ai, d’autre part, éprouvé une incontestable surprise, lorsque je vis, au moment de ma délivrance, se coucher le soleil que j’avais vu se lever une heure avant la catastrophe. Oui, voilà bien la vérité : ce fut interminablement long et très