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LES DOUZE HEURES D’UN TAMPONNÉ

Par tous les modes, pourvu que soient abolies les distances, étapes géographiques ou sociales, et que le monde s’unifie ! Prudence, sagesse et mesure ? Fi de cela ! Le danger ? On y pense tout juste pour pimenter la joie.

Nous allions vite. J’étais aise : j’avais délicieusement dormi. Dans une des couchettes du sleeping, une exquise jeune fille avait passé la nuit, juste en face de moi, et sa présence, la veille au soir, avait un peu retardé mon premier sommeil : l’obsession de ce joli corps, si proche, m’avait hanté pendant une heure, et finalement je m’étais assoupi, bercé par un regret charmant. Je me réveillais avec des fringales de vivre. Nous filions. J’en souriais au réveil. Le matin était pur. Les Pyrénées apparues se débarbouillaient dans de l’air rose, et le vent rapide de notre course, entrant par une glace baissée, venait de balayer, dans le compartiment, toutes les torpeurs de la nuit.

Heureux, sain, je regardais la jeune fille maintenant assise devant moi, et dont la santé souriait comme la mienne.

Il me parut, — je me trompais peut-être, —