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LE PRISONNIER DE SON ŒUVRE

Elle regardait tant mes yeux qu’elle n’a pas vu mes doigts introduire dans notre bouche l’ampoule de verre.

Peut-être même elle n’a pas entendu, lorsque j’ai crié :

— Meurs !

Je ne me rappelle que ceci : ses prunelles sous les miennes, tout près des miennes, deux pupilles hagardes qui cherchaient à comprendre, deux trous d’épouvante, avec, au fond, une nuit bleue. Et encore ceci : ma bouche collée à la sienne, le mouvement de meule furieuse qui broyait l’ampoule contre nos dents.

C’est tout.

Après cela, aussitôt après, et sans douleur, la nuit, le néant…

Après cela, sans commencement connu, l’obscure sensation d’un rêve, mais d’un rêve neutre, dénué d’images autant que de pensées ; une notion d’exister, mais une notion trouble, limbeuse, et que volontiers je dirais lointaine ; une douleur, mais une dou-