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LA PEUR

me rapprocher d’elle, pour l’ensevelir, tendrement, pieusement, et surtout pour fermer sa bouche, pour fermer ses yeux.

Ses yeux… Son œil, plutôt, — car je n’en apercevais qu’un, — me navrait de pitié. Tout écrasé qu’il fût, et terne, il avait encore un regard, une fin de regard : immobilisé vers le plafond, attentif à des choses, il méditait infatigablement, et plusieurs fois, dans mon délire, j’eus l’impression que cet œil fixe travaillait à recueillir dans l’espace toutes les pensées de mon mutisme : Berthe écoutait par lui les paroles que ma voix était incapable de proférer, et que mon âme jetait à la sienne.

— N’est-ce pas, chérie, tu m’entends ?

J’ai demandé cela, à un moment ; je me rappelle très bien avoir demandé cela. Mais l’œil ne m’a pas répondu, et j’ai compris qu’il m’entendait, mais qu’il ne daignait pas répondre.

D’abord, je me suis résigné, comme un enfant ; puis, j’ai recommencé et j’ai supplié. L’œil immuable déclarait : « Il a tué une créature vivante, et, maintenant, il l’implore. »

— Berthe…