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LA PEUR

méchant, comme on raconte qu’il y en a chez vous autres. Ma fille a su que j’allais tuer son petit, ça, ça est ; mais pour m’avoir donné un coup de main, ça, non, elle n’a pas fait. Tout de même, vous pouvez bien lui couper la tête à elle aussi, comme à moi, monsieur le juge, et vous lui rendrez service : car elle n’a rien de bon à attendre sur la terre, et elle sera mieux dessous, comme de raison. Elle se reposera, et il n’est que temps : elle l’a bien gagné, et son paradis avec, car nous n’avons jamais fait tort à personne, ni l’une ni l’autre, et le bon Dieu le sait bien.

Mais je vais vous dire le tout, et vous m’excuserez si je vous retiens un peu de temps à m’écouter : il faut que je remonte en arrière pour que vous compreniez le fin de la chose, n’est-ce pas ?

Je n’ai pas eu la vie heureuse, moi non plus : c’est la boisson qui a fait le mal, toujours la boisson ! Le cidre, et l’eau-de-vie, surtout ! L’eau-de-vie fait tout le mal, chez nous ! Pas à moi, mon bon monsieur, car je n’en ai jamais touché une goutte, et ça me fait peur, tenez, comme le feu ! On a eu trop de misère, rapport à la boisson !