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LA BARATTE

haché, et qu’il avait encore deux bigorneaux, un sur chaque œil, à le manger. Voilà l’eau-de-vie, monsieur le juge, et ce qu’elle fait ! Ça n’est pas une pitié ?

Aussi, quand il a fallu marier mon aînée, Céline, j’ai bien gardé, allez, pour voir si son prétendu n’allait pas aussi à la boisson, comme le mien et celui de ma mère. Dans le pays, ils buvaient tous, ou autant dire ; alors, je l’ai pris ailleurs, pas bien loin, à dix lieues. Et il avait l’air doux, je vous assure, ce garçon, et gentil, et il jurait sa foi que jamais il n’avait touché une bolée, et qu’il prenait seulement un rien de piquette, à son souper, comme de juste. Un homme, non plus, ne peut pas se priver de tout. Oui, mais, mon bon monsieur le juge, il mentait, celui-là, et j’ai bien su, quand il a été marié avec Céline, qu’il était tout pareil aux autres, devers la boisson. Le cidre et tout, ça marchait ! Chaque matin un verre d’eau-de-vie, avec son café, et un grand verre, tenez ! Il était bon maçon, et il se faisait des journées de trois et quatre francs, quand il voulait, et on le demandait, car on fait assez bien de bâtisses, dans tout le pays, autour de Brest. Mais il