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LA PEUR

licol ; mais aussitôt j’obéis, car j’obéis toujours, sachant que ce qui est doit être comme c’est, et non pas autrement.

Alors, on m’attela à une voiture bien étrange, qui n’avait pas de roues, et qui était faite de grandes poutres et dont les brancards ne se trouvaient pas au-devant de la voiture, mais au milieu même ; on me passa des sangles sous le poitrail, on m’attacha de court les quatre pieds, sans doute pour m’empêcher de ruer, et cela me semblait bien inutile, car jamais je ne rue ; mais je ne pouvais pas le dire, et mes nouveaux maîtres n’en savaient rien. Ensuite, je sentis qu’on m’enlevait de terre, et j’étais suspendu, tiré en bas par les courroies de mes pieds, ce qui faisait bien mal à mon os cassé ; mais je ne pouvais pas le dire, et on n’en savait rien.

Je restai dans cette posture bien longtemps, et on ne s’occupait plus de moi, car un jeune homme venait d’arriver, et il semblait étranger à la maison, et les autres lui montraient tout, en lui expliquant les choses. Ils s’arrêtaient devant les viandes, et moi je les suivais des yeux, pour m’occuper, afin de sentir moins la douleur de ma blessure.