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LE SETUBAL

J’en savais assez long. Je crie : « Bonsoir ! » Je tire sur les avirons. À mon barreur, je dis de nous envoyer droit sur le Setubal, par le plus court. Souque dur ! Pas un coup d’aviron à perdre !

En ramant, je réfléchissais : « Il est déjà chez lui ou presque : sa maison n’est pas loin, et il a dû trotter, puisqu’il a tant fait que de revenir à terre. Il est revenu de rage, bien sûr, en brûlant la consigne, et sans ordres, bien sûr ! Un marin qui largue son poste, de cette manière-là, devant l’ennemi, c’est un gaillard qui en tient, et qui ne recule devant rien. Il se doutait du coup, et il n’avait pas tort ! Souque dur, camarade ! Faut avertir mon commandant. »

Je tirais à me casser les bras, mais nous n’avancions pas vite, surtout quand on eut quitté les abris. La mer était toute démontée, et le vent debout, qui nous travaillait d’une force ! Nous piquions dans les lames ; on embarquait des paquets d’eau.

— Souque dur, que je me disais, pour arriver premier !

La sueur me coulait du front, et je soufflais comme un phoque, en serrant les mâchoires.