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LA PEUR

cramponna, accroché à son idée comme un crabe à un goémon, et ne voulant plus lâcher prise, uniquement parce qu’il tenait : à force de souhaiter la victoire, il en venait à s’imaginer qu’il souhaitait l’objet de la victoire ; sous son crâne breton, le caprice se faisait idée fixe, et cette envie l’obsédait davantage de jour en jour.

— Elle y viendra !

Il commençait cependant à trouver le temps long, et s’agaçait. Il en arriva bientôt à s’irriter du temps perdu, et d’un rôle qui l’humiliait dans sa vanité. Incapable de s’en prendre à lui-même, il s’en prenait à la femme, qui faisait semblant de ne pas le comprendre et qui se moquait de lui, peut-être ! Il rageait et pensait à elle, toujours avec colère et certes sans plaisir, et surtout sans amour, mais il y pensait trop, trop souvent, plus que de raison : le souvenir d’elle surgissait brusquement, à tout propos, hors de propos, au milieu d’une manœuvre, et le marin furieux envoyait des coups de sabot à ses agrès ou à son mât, à tout ce qui se trouvait sous la portée de son pied pour recevoir les châtiments destinés à sa compagne future.