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LA PEUR

couleurs crues, portaient la chaîne d’or au col ou sur le ventre ; leurs cheveux, fortement tirés sous le bonnet, tendaient la peau des tempes et des fronts, comme tambours, et les visages bien savonnés luisaient. Les deux marins, rasés dès l’aube, avaient reçu le vinaigre et la poudre d’amidon. Les faces étaient hilares, les yeux grands ouverts et brillants, les consciences légères, et on se promettait de la joie. Dès l’arrivée au cabaret de la veuve, chez qui on devait se réunir, toute la bande s’esclaffait déjà et criait fort.

— Pas de soucis, hein ? pour un jour !

— Fiden-doué, non !

Toussaint lui-même oubliait son amour, à force de belle humeur, et l’Anne-Marie, en regardant rire son ancien prétendu, confessait avec indulgence que, sauf la boisson, il n’était ni vilain gars ni méchant homme.

— On me croira le pacha de Turquie, avec tout ça de femelles dans mon bateau !

Pour commencer la fête, la mère Guillou offrit le café. Chacune comme chacun avait apporté sous le bras, en un petit paquet, ses provisions pour la journée, du pain beurré avec du lard ou de l’andouille. Lekor, s’étant