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LA PEUR

Pour montrer ce qu’il savait faire, il prit son dernier aviron.

— Écopez !… Je vas vous gouverner ça.

Son assurance et l’exemple d’Anne-Marie rendirent du cœur aux trois femmes, qui travaillèrent avec furie. Nul ne parlait plus. L’homme, avec son arme de bois blanc serrée dans ses deux poings, luttait contre la mer : son œil de duelliste, attentif et dur sous les sourcils crispés, surveillait au loin la venue des coups, suivait chaque lame, la guettait, et sa parade recevait l’attaque.

— Hardi, Toussaint !

Ramant, lofant, et tout rouge, il suait, avec des ahans de sa large poitrine. Le courant emportait la barque. Quand on rencontrait un remous, elle tournait sur sa quille, malgré l’effort du barreur, et la mer jetait des masses d’eau sur les femmes glapissantes.

Anne-Marie ne criait pas.

La lutte dura près d’une heure.

Vingt fois, on faillit sombrer.

— V’là les Gaours !…

Tout de suite, il vit que la marée était encore trop basse ; des récifs à fleur d’eau barraient la route : on en éviterait un, deux, mais