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Page:Haraucourt - La Peur, 1907.djvu/93

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SUR LA ROCHE

Anne-Marie pivota lentement, et d’un œil humble, elle vit, entre elle et le continent, ce fleuve impétueux qui se ruait dans le chenal, en déchiquetant sa furie sur les arêtes du bas-fond. Elle connaissait assez les choses de la mer pour comprendre qu’un tel passage était impraticable. Elle ne souffla mot.

Toussaint, de sa voix morne, reprit :

— Le Gardec y a péri, l’an passé, avec son mousse : encore, ils avaient la barque, eux !

Il se tut ; deux minutes furent silencieuses.

— Et Yves Pilot, donc ! C’était là aussi, qu’on croit. Mais lui, il y a des ans.

Après deux autres minutes, il ajouta :

— Et puis, tu sais, au plein de l’eau, ce sera couvert, ici : par temps calme, les Pens-Gaour viennent tout juste à ras, mais par tempête on n’y voit que du blanc, et y en a !

— Alors ?… On sera pris… Toussaint ?

— Mad-doué, oui.

— Au plein, Toussaint ?

— Balayé, tu peux le dire.

Après un autre silence, elle demanda :

— Tu sais nager, toi ?

— Pour sûr !

— Moi… Je sais pas…