Page:Harvey - Les armes du mensonge, 1947.djvu/21

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

naires têtus que par les destructeurs stériles. Dans les excès de l’intellectuel et de l’artiste comme dans les errements des théoriciens et utopistes d’un prétendu ordre nouveau, il faut voir moins des signes de décadence que des énergies errantes, énervées, inquiètes et fatiguées, qu’il appartient à la raison des sages de ramener à l’action féconde. On ne tue pas des énergies, on les canalise pour le bien de l’individu et de la communauté. Si les derniers tenants de la raison et de l’équilibre manquent d’imagination au point de ne pas savoir l’emploi utile de toutes ces forces égarées, il ne leur reste plus qu’à subir leur triste sort : le monde passera par des orages terrifiants, et le calme ne renaîtra sur la planète qu’à compter du jour où la douleur et l’instinct de conservation seront plus forts que les fantaisies cruelles de quelques inconscients de génie pour qui les individus et les peuples ne sont que des cochons d’Inde.

Les hommes doués d’intelligence, de raison, de bon sens, d’expérience et d’imagination ne doivent pas, comme ils l’ont toujours fait dans le passé, se retirer dans leur tour d’ivoire et attendre d’y être étranglés. Ils n’ont pas le droit de rester simples spectateurs du grand drame de l’inquiétude humaine et de livrer ainsi leurs frères à la voracité des démagogues, des gangsters et des faux thaumaturges. Désormais, il est contraire à l’intérêt personnel de chacun de pratiquer l’égoïsme ou l’indifférence. Pour le bien ou pour le mal, les masses ont pris conscience de leur force parce qu’elles ont appris à se compter et à s’unir. Insuffisamment éclairées pour se guider d’elles-mêmes, elles suivent nécessairement des bergers, bons ou mauvais. Elles seront des agents de destruction suivant l’impulsion donnée par les chefs qui se seront imposés à leur confiance. Ou bien il faudra s’occuper d’elles, leur assurer un minimum de bien-être, ou bien elles obéiront à la poussée aveugle de l’instinct.

Par bonheur, des milliers d’hommes raisonnables y ont pensé. Tous les chefs dignes de ce nom, depuis des années, ont tracé des plans d’avenir où le souci d’améliorer la condition humaine se joint au désir sincère de sauver la liberté. Certes, aucun plan de ce genre ne peut se réaliser

— 19 —