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les demi-civilisés

hier ce que vous disiez la veille à Dorothée… Quand direz-vous la vérité aux femmes ?

Pour crâner, je servis à Françoise l’éternel paradoxe des hommes auxquels une femme fait le reproche d’insincérité :

— Nous disons toujours la vérité au moment même où nous parlons. Chaque amour nouveau, si léger, si éphémère soit-il, apporte avec lui son instant de franchise. L’homme croit aux mots qui sortent vivants de sa passion, et celle-ci est toujours sincère… Le changement ? Françoise, on s’aperçoit bien vite, en vieillissant, que l’immobilité de l’âme dans un seul être n’existe vraiment que dans la mort… Il y a toujours une disproportion immense entre le désir et son objet. L’illusion nous porte à trop demander à la vie. Jamais elle ne nous donnera la centième partie de ce que nous exigeons d’elle. C’est pour cela que l’homme est un éternel chercheur. Il aspire à l’infini, il trouve le fini. Toujours nos ailes cassées en plein vol !

Les fleurs que j’avais reçues me rappelaient cette conversation que j’avais eue avec Françoise, ainsi que le parfum qui émanait d’elle. Elles me soulignaient aussi la fausseté de mon plaidoyer. Je me croyais alors très fort de raisonner ainsi. Plus tard, je compris qu’il est des amours que rien, absolument rien, ne saurait effacer d’une âme. Ma haute passion pour Dorothée, par exemple. Celle-là, elle n’est jamais sortie de mon être, et quand je m’étourdissais de la vile philosophie des