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les demi-civilisés

plus, ton amie choisit la voie la plus digne. J’admire son courage. Il lui faudra déraciner de sa poitrine son cœur de femme et le jeter dans les ornières du chemin ; si, dans cette misérable boue, elle le voit battre encore, elle marchera dessus à deux pieds. La chasteté desséchera son corps ; l’obéissance lui prendra son âme et sa personnalité. Tu sais le mot d’ordre : obéir comme un cadavre, comme un bâton dans la main d’un vieillard…

— Je t’en prie, épargne ma sensibilité !

— J’ajoute qu’il existe, dans le cloître, beaucoup de grandeur morale. Toutes ces petites créatures qui travaillent, peinent et aiment en dehors d’un monde qu’elles méprisent et qui n’ont de sensibilité que pour des objets hors de la portée des sens, sont capables d’héroïsmes dont la constance et la répétition sont à peu près inconnues ou impossibles hors des couvents. Dans la garde des orphelins, le soin des malades, le soulagement des pauvres, l’hospitalité aux infirmes et aux déments, leur patience et leur énergie tiennent du prodige. Elles se penchent sur une misère, non pas avec une sollicitude maternelle et chaude, mais avec cette bonté commandée, où l’on sent une volonté d’agir par devoir sans céder aux mouvements de l’instinct. Elles abhorrent la nature, qu’elles pensent viciée, et elles la contredisent en tout ce qu’elle inspire. Elles commencent par réprimer en elles-mêmes toutes les impulsions qui ne tendraient pas vers l’au-delà. Elles vont jusqu’à com-