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les demi-civilisés13

d’un immense troupeau de buffles fuyant éperdument sous les flèches des chasseurs. Les trois naufragés, nageant à l’aveugle, avaient été jetés violemment sur une petite île où il n’y avait pas une maison, pas un arbre, rien que la pierre glacée. Deux jours et deux nuits, sans aucun moyen de faire du feu, ils avaient grelotté à ciel ouvert. Le troisième jour, les jeunes gens étaient morts de froid. Le père, affamé, inconscient, claquant les dents, résistait encore. Enfin, un navire, passant près de là par hasard, l’avait recueilli avant l’agonie. Au souvenir de ce drame, le père Maxime pleurait encore.

Il ajoutait :

— Des morts, des noyés, il y en a toujours plein la mer. À mon dernier voyage, il n’y a pas si longtemps, en quittant les Sept-Îles, je vois sortir de l’eau, accroché à la pointe de l’ancre que je lève, un cadavre. J’appelle les amis, et, avec des gaffes, on fait monter le corps sur le pont. Je regarde. C’est Abel Warren, un contrebandier que j’ai rencontré huit jours plus tôt. Je le reconnais à sa moustache et à une bague qu’il portait au petit doigt. Ça m’a toujours frappé cette mort-là. Abel avait le pied marin. Un vrai marin ne se noye pas si bêtement. J’ai toujours pensé qu’il y avait un Caïn là-dessous.

Maxime nous transportait aussi sur des mers de soleil et d’argent où jamais ne flottait un iceberg, des mers dont les côtes se couvraient de fleurs en janvier et dont les rivages, à marée basse, découvraient des