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les demi-civilisés

En remontant le sentier qui conduisait à ces ruines, je m’arrêtai contre une large pierre plate, qui bordait autrefois le jardin.

— La dernière fois que je vis grand-père, dis-je à Lucien, il était assis sur cette pierre. C’est là qu’il m’embrassa en disant : « Mon petit Max, je me fais vieux, je ne te reverrai plus. Sois toujours un honnête homme. » Il avait les larmes aux yeux. Je le vois encore avec son regard bleu et doux, sa face toujours jeune, presque sans rides, colorée comme à vingt ans, sa longue barbe sous laquelle il souriait si candidement.

Nous allions franchir le seuil bien-aimé quand l’idée me vint que les vieilles maisons ont une pudeur, et je dis à mon compagnon :

— Si tu veux, j’entrerai seul. Je désire vivre seul ces émotions qui ne sont que pour moi, le petit-fils.

La porte était verrouillée, les fenêtres, fermées avec des planches. Après avoir décloué une de celles-ci, je pénétrai à l’intérieur par un carreau sans vitre.

Et je marchai dans l’ombre humide comme en un cimetière. Tant de choses mortes, sous mes yeux, à la fois ! Je m’habituai vite au clair-obscur et distinguai plus nettement les objets.

C’est ici la grande salle ou l’on servait les repas à une tablée de douze personnes. Grand-père était assis, là, à l’autre bout, tranchant une miche de pain noir qu’il tenait sous son bras noueux. Grand’mère portait du fourneau à la table de bons et substantiels plats dont,