Aller au contenu

Page:Harvey - Les demi-civilisés, 1934.djvu/29

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
25
les demi-civilisés

la simple rusticité des gens de chez nous. J’estimais ceux-ci, je m’étonnais des autres. Je sentais vaguement qu’il y avait, chez nos campagnards, plus de solidité, de bonté, de jugement et d’intégrité ; mais les cheveux bouclés, les lèvres peintes, les cils taillés, les doigts fins et les ongles polis de Marthe m’avaient séduit. Déjà, le sens de l’art se faisait jour en moi aux dépens du cœur et de la conscience. Les demi-civilisés venaient de me livrer leur premier assaut.

***
**
*

Un soir de ce mois d’août qui précéda mon entrée au pensionnat, je descendais, en pêchant, une petite rivière faite de rapides, de cascades et de remous. Les truites fleuries, rutilantes et vives, venaient happer la mouche que je faisais zigzaguer à rebours du courant. Je donnais un léger coup de poignet et sentais tout de suite la résistance de la proie nerveuse, bien décidée à défendre sa vie. Ma joie consistait à laisser ma victime se débattre longtemps au bout du fil, avancer jusqu’à mes pieds, puis repartir en un grand élan, pour rom-