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les demi-civilisés

« Défense d’user de la parole autrement que pour déguiser sa pensée. »

Je ne vis là qu’un mot d’esprit que j’avais déjà lu ailleurs.

— Il faut qu’on aime bien l’humour, en ce pays, me dis-je, pour graver pareille boutade sur une plaque d’or massif.

J’allais atteindre l’encoignure de la rue voisine, quand je marchai, par mégarde, sur le pied d’une femme belle à ravir et armée d’un sourire qui aurait ranimé Mathusalem.

— Je vous aime, ami, comme je vous aime ! s’écria-t-elle d’une voix blanche.

Bouleversé par cet aveu inattendu, j’oubliai le lieu et la bienséance, et voulus embrasser l’aimable inconnue.

Alors, elle me frappa sur le nez à poings fermés, et, comme j’étanchais le sang jailli de ma narine, elle appela un agent de police.

Celui-ci m’intima l’ordre de le suivre au commissariat.

— Cette femme m’a provoqué ! protestai-je.

— Provoqué ? Vous ne nous ferez pas croire que la plus jolie et la plus honnête femme de ce pays vous ait provoqué, jeune libertin ? Qu’est-ce qu’elle vous a fait ?

— Elle m’a dit : « Je vous aime, ami, comme je vous aime ! » Elle ne l’a pas seulement dit, elle l’a crié.

L’agent partit d’un tel éclat de rire que j’en fus estomaqué.