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Page:Harvey - Les demi-civilisés, 1934.djvu/72

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les demi-civilisés

humide des vers énormes, qui se contractaient, résistaient, puis cédaient tout à coup, comme des arcs détendus, et l’oiseau culbutait en des pirouettes folles.

Dorothée, assise sur la véranda, vêtue d’une robe de chambre rouge et fleurie de marguerite peintes, étirait son petit corps souple et félin, baillait, semblait s’enivrer de la douceur languide de l’air.

Luc Meunier sortit par la porte centrale et se dirigea cigare à la bouche, vers sa fille. Un complet de fine toile grise, habit frais et souple pour les jours chauds, le couvrait et lui donnait un air de confort et de satisfaction. Il avait les yeux d’un bleu dur, un teint basané d’ancien marin, le front rayé de deux plis profonds, le nez épais, les lèvres minces et sèches, le menton allongé, saillant, brutal. Les aspérités du caractère apparaissaient quand le visage était au repos, mais dans l’animation de la conversation, surtout en présence de Dorothée, qu’il aimait beaucoup, il devenait d’une jovialité ronde, un peu triviale, non dénuée de charme. Au reste, il sentait la bonne lotion et le parvenu.

— Allô ! Mathée (contraction de « ma Dorothée ») ! De bonne humeur, ce matin ? Tu en as, de la chance, toi, de vivre comme ça, à flâner, à te faire chauffer les flancs dans une chaise longue et à rêvasser comme une petite génisse au soleil.

Dorothée riait de cet effort paternel pour la taquiner avec esprit.