Page:Harvey - Marcel Faure, roman, 1922.djvu/110

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Pour elle, quoique Dieu l’ait faite douce et tendre,
Elle va son chemin, distraite et sans entendre
Ce murmure d’amour élevé sur ses pas.


— Comme c’est charmant de vous entendre dire des vers !… Mais vous ne serez pas toujours distraite, je ne le crois pas. Un jour viendra…

— Tenez ! Monsieur Félix, si je ne voulais pas badiner, je vous dirais des choses qui vous surprendraient. Parce que vous êtes psychologue, êtes-vous bien certain d’être au courant de tous les états d’âme ? Vous parlez de l’amour comme d’un sentiment très doux qui comble la vie de deux êtres ; mais il en est qui gardent dans leur cœur des secrets cruels qui leur font mal. Rentrer dans sa gorge des mots bouillants qu’on voudrait dire et qu’on ne dit pas parce qu’on n’en a ni le droit ni le courage, n’est-ce pas avaler du plomb fondu qui rôtit les chairs et qu’on ne peut plus vomir ? Combien ne paraissent pas aimer qui sont consumés par un aveu ardent qu’ils ne se résignent pas à crier de peur de détruire le reste d’illusions qui fait pardonner à la vie ce qu’elle a de méchant et d’inexorable. Voir le bonheur tout près, à la portée de la bouche, et ne pouvoir y toucher du bout des lèvres, quoi de plus angoissant, de plus tantale ?