Page:Harvey - Marcel Faure, roman, 1922.djvu/143

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

telle horreur du changement que, malgré leurs divisions incessantes et leurs interminables chicanes, ils devenaient d’une édifiante unité, chaque fois que l’un d’eux proposait un plan d’amélioration qui eût pu contrecarrer la routine sacrée dont ils vivaient depuis un siècle. Formée de propriétaires rentiers pour la plupart, leur ville offrait le spectacle d’une bonne vieille relique devant laquelle se fussent pâmés les antiquaires. Paradis des folkloristes ! Souvenir et immobilité, telle semblait être la devise de ses habitants.

À deux pas de chez eux, Valmont les offusquait. Dès le début, il y avait eu pléthore de prophètes. Ils vaticinaient la banqueroute d’une industrie qu’ils disaient impossible et dangereuse. « Le matérialisme s’implante chez nous, ne cessaient-ils de répéter. Nous sommes des Latins : nous dominerons par l’idée, force spirituelle, non par la richesse, force matérielle. Vouloir nous transformer en commerçants, c’est vouloir employer un violon comme caisse d’emballage. » Dépités de constater, de jour en jour, le renversement de leurs prophéties et de leurs principes, ils n’aimaient ni Valmont ni les Valmontais.

Quarante convives s’étaient réunis chez les Bernache. La salle à manger était ornée avec