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Page:Hasek-Le brave soldat chveik,1948.djvu/159

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dans une hébétude totale, prenant Chvéïk pour le colonel Just du soixante-quinzième de ligne, et répétant :

— Ne te fâche pas, camarade, que je te tutoie. Je suis un cochon.

À un moment donné on put croire que le roulement du fiacre allait le retaper un peu. Assis tout droit, il se mit à chanter une chanson, fruit probablement d’une improvisation poétique :


Je pense toujours à ce beau temps passé
Où tu me prenais sur tes genoux,
On était heureux sans jamais se lasser
De vivre à Merklin, pays si doux.


Mais un instant il retomba dans son hébétude et demanda à Chvéïk, en clignant de l’œil :

— Comment allez-vous, chère madame ?

Et en peu plus tard :

— Partez-vous bientôt en villégiature, chère madame ? Se prenant à voir double, il demanda encore :

— Vous avez déjà un fils aussi grand que cela ?

Ce fils imaginaire se confondit immédiatement avec Chvéïk :

— Veux-tu bien t’asseoir ! cria Chvéïk quand le feldkurat voulut monter sur la banquette ; je t’apprendrai à te tenir, attends voir un peu.

Le feldkurat, sidéré, se tut du coup, regarda par la fenêtre de la voiture de ses petits yeux porcins sans se rendre compte où on le conduisait.

Il perdit même toute connaissance des notions les plus élémentaires et, s’adressant à Chvéïk, il dit :