Page:Hasek-Le brave soldat chveik,1948.djvu/43

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disait au mot « Ouvrière en cartonnage », sans quoi il serait perdu. Et il n’y avait que la camisole de force qui le mettait à l’aise. Alors, il était content et disait que ce n’était pas trop tôt pour être mis enfin sous presse, et il exigeait une reliure moderne. Pour tout dire, on vivait là-bas comme au paradis. Vous pouvez faire du chahut, hurler, chanter, pleurer, bêler, mugir, sauter, prier le bon Dieu, cabrioler, marcher à quatre pattes, marcher à cloche-pied, tourner comme la toupie, danser, galoper, rester accroupi toute la journée ou grimper aux murs. Personne ne vient vous déranger ou vous dire : « Ne faites pas ça, ce n’est pas convenable ; n’avez-vous pas honte, et vous vous prétendez un homme instruit ? » Il est vrai qu’il y a aussi là-dedans des fous silencieux. C’était le cas d’un inventeur très savant qui se fourrait tout le temps le doigt dans le nez et criait une fois par jour : « Je viens d’inventer l’électricité ! » Comme je vous le dis, on y est très bien, et les quelques jours que j’ai passés dans l’Asile de fous sont les plus beaux de ma vie.

En effet, l’accueil qu’on avait fait à Chvéïk à l’Asile de fous, où on l’avait transporté avant de le faire passer devant une commission spéciale, avait déjà dépassé toute son attente. Tout d’abord on l’avait mis à nu et, après l’avoir enveloppé dans une espèce de peignoir de bain, on l’avait conduit, en le soutenant familièrement sous les bras, à la salle de bains, tandis qu’un des infirmiers lui racontait des histoires juives. Là, on l’avait plongé dans une baignoire d’eau chaude, et, après l’en avoir retiré, on l’avait placé sous la douche. Ce procédé de lavage avait été appliqué à Chvéïk trois fois de suite, et là-dessus, les