Page:Hasek-Le brave soldat chveik,1948.djvu/92

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qu’on nous offrait pour reposer nos maux. Une fois, un copain avait pour de bon la fièvre typhoïde, et son voisin, la petite vérole. On les a garrottés tous les deux et le regimentsartzt[1] leur a flanqué des coups de pied à l’estomac en les traitant de simulateurs. Une fois qu’ils ont été morts, l’affaire est venue devant le Parlement et les journaux en ont parlé. Bien entendu, on nous a défendu de lire des journaux où il y avait des articles là-dessus, et on a fouillé nos cambuses sens dessus dessous pour voir si nous ne les cachions pas. Moi, je ne suis pas veinard, et c’est moi qui ai trinqué, c’était couru. Le seul type qui avait un de ces journaux-là, fallait que ce soit moi. On m’a conduit au regimentsrapport[2], et notre colonel, un veau, Dieu l’accueille dans son ciel, m’a demandé de lui dire qui était le chameau qui avait mis les journaux au courant. Il a dit qu’il allait me casser la gueule et qu’il me foutrait à la boîte. Ensuite, ç’a été le tour du regimentsartzt qui brandissait tout le temps son poing devant mon nez et gueulait : « Sie verfluchter Hund, sie schaebiges Wesen, sie unglückliches Mistvieh[3], fripouille socialiste ! » Moi, je le regarde dans les yeux sans broncher, la main droite à la casquette, la main gauche à la couture du pantalon. Ils tournaient tous les deux autour de moi comme des chiens, ils aboyaient après moi comme deux enragés, et moi je n’ouvrais pas la bouche. Je restais là, la main droite à la casquette et la main gauche à la couture du pantalon. Après avoir fait les fous pendant une demi-heure, voilà que le colonel saute sur moi et hurle : « Est-ce que tu es idiot ou est-ce que tu ne l’es pas ? » – « Je vous déclare avec obéissance, mon colonel, que j’suis un idiot ». – « Vingt et un jours de cachot

  1. Médecin-chef.
  2. Médecin du régiment.
  3. Chien maudit, espèce de ladre, sale bête.