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Page:Hatin - Histoire du journal en France.djvu/159

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ris, et les imaginations étaient encore pleines de ce drame si singulièrement pittoresque. Eugène Sue préparait un nouvel ouvrage que déjà se disputaient. la Presse et les Débats. M. Véron se présenta à l’enchère, et le Juif-Errant lui demeura pour 100 000 fr. Il y avait là une audace apparente qui ne devait pas laisser que de produire déjà un certain effet. En réalité, M. Véron jouait à coup sûr : l’engouement pour le Sue était tel alors, que, quelque mauvais que pût être le Juif-Errant, le succès était certain ; et, de fait, les premières lignes n’avaient pas encore paru que 20 000 affamés s’étaient fait inscrire pour en avoir les prémices. Par ce coup habile, le Constitutionnel avait reconquis, sinon son influence, au moins une clientèle suffisante pour affermer sa quatrième page 300 000 fr. à la société Duveyrier.

La fidélité du Constitutionnel à la mémoire de Napoléon avait été une des causes originaires de sa fortune ; son dévouement au nouvel empire lui valut quelque temps une position quasi-officielle et sembla devoir ramener ses plus beaux jours. Mais les destins sont changeants. Un nouveau venu osa lui disputer l’oreille du pouvoir, et même jusqu’à sa place au soleil. Menace dans l’existence de son journal, froissé dans son orgueil d’Égerie éconduite, M. Véron jugea prudemment que le moment était venu pour lui de quitter la scène ; il abandonna le Constitutionnel au moderne Gargantua industriel moyennant quelque chose comme deux millions, dont un tiers environ pour lui, et, non sans quelque regret peut-être, il se retira fièrement sous sa tente, — qui est un palais, — où il prépare des mémoires qu’attend l’univers.