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langage fleuri ; d’autres qui veulent que mes relations semblent à un squelette décharné, de sorte que la relation en soit toute nue. Ce qui m’a fait essayer de contenter les uns et les autres.

» Se peut-il donc faire (mon lecteur) que vous ne me plaigniez pas en toutes ces rencontres, et que vous n’excusiez point ma plume, si elle ne peut plaire à tout le monde, en quelque posture qu’elle se mette, non plus que ce paysan et son fils, quoiqu’ils se missent premièrement seuls et puis ensemble, tantôt à pied et tantôt sur leur âne ? Et si la crainte de déplaire à leur siècle a empêché plusieurs bons auteurs de toucher à l’histoire de leur âge, quelle doit être la difficulté d’écrire celle de la semaine, voire du jour même où elle est publiée ! Joignez-y la brièveté du temps que l’impatience de votre humeur me donne ; et je suis bien trompé si les plus rudes censeurs ne trouvent digne de quelque excuse un ouvrage qui se doit faire en quatre heures de jour, que la venue des courriers me laisse, toutes les semaines, pour assembler, ajuster et imprimer ces lignes.

» Mais non, je me trompe, estimant, par mes remontrances, tenir la bride à votre censure. Je ne le puis ; et si je le pouvais (mon lecteur), je ne le dois pas faire, cette liberté de reprendre n’étant pas le moindre plaisir de ce genre de lecture, et votre plaisir et divertissement, comme l’on dit, étant l’une des causes pour lesquelles cette nouveauté a été inventée. Jouissez donc à votre aise de cette liberté française ; et que chacun dise hardiment qu’il eût ôté ceci ou changé cela, qu’il aurait bien mieux fait : je le confesse.

» En une seule chose ne céderai-je à personne, en la recherche de la vérité, de laquelle, néanmoins, je ne me fais pas garant,

    pas être dans les bienséances de la société, en ne donnant le titre de monsieur qu’à certaines personnes, et celui de sieur aux autres. Ces auteurs ont oublié qu’ils ne parlaient pas au nom du roi. » Grimm, non plus, ne peut digérer cette formule. « M. l’abbé Arnaud et M. Suard, écrit-il à la date du 15 janvier 1769, composent depuis plusieurs années la Gazette de France, c’est-à-dire la plus insipide, la plus impolie, et la plus correctement écrite de toutes les gazettes. Je l’appelle impolie à cause de l’affectation ridicule qu’elle a de ne donner le titre de monsieur à personne, et de traiter tout le monde de sieur. Il est très-impertinent et fort plat d’imprimer deux fois par semaine le sieur Pitt, quand le sieur Pitt est l’arbitre de l’ancien et du nouveau continent. »