Page:Hatin - Histoire politique et littéraire de la presse en France, tome 1.djvu/297

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le nom de Legende, tantost sous la qualité de Code, de Memoires, de Commentaires Hystoriques, de Chroniques, de Décades et d’Annalles, elle a tasché de se maintenir et de tirer des puissances des pensions et de bonnes nipes, qui luy ont donné le moyen d’habiller de pied en cap cette pauvre Verité, honteuse de paroistre toute nuë comme elle estoit chez les grands, qui la chassoient et n’en vouloient point entendre parler ; c’estoit la moindre de ses suivantes : dans ses entretiens ordinaires elle la faisoit taire tout plat, et Mademoiselle Flatterie avait seule le privilège de parler des Princes et des Roys, parce qu’elle sçavoit et sçait encore donner du plat de la langue en perfection, et les gratter où ils se demangent.

Au commencement elle avoit la patience de voir regner et mourir un Monarque pour en escrire la vie ; mais, soit que les fantasques qui ne vivent que de nouvautez se plaignissent que c’estoit leur mettre le Caresme bien haut, ou que, n’ayant point d’autre revenu que ce commerce, la nécessité l’obligeast de mettre plus souvent quelque chose sous la presse affin de mettre quelque chose sous la dent, elle borna ce terme à l’espace de dix ans, et réduisit la Chronique en Décades. Dès-lors elle se donna bien de garde, en jouant de ce delicat instrument, de toucher sur la grosse corde, de peur que ses récompenses ne fussent de bois flotté, dont elle auroit esté très mauvaise marchande ; il fallut sous-mettre ses escrits à la censure des courtisans, et souffrir les corrections du Prince ou du Ministre d’Estat ; en sorte qu’assez souvent ils escrivoient eux mesmes leurs belles actions, et contraignoient cette bonne Dame d’estre faussaire en légitimant des enfants qu’elle n’avoit jamais produit. Mais elle alla de pis en pis ; ses moyens diminuant aussi bien que le Règne des Roys, il fallut amplifier la matière, ampouler le stile, faire de rien grande chose, et ramasser des fadaises et des contes jaunes pour en faire un volume tous les ans ; cela passoit sous le tiltre d’Annalles, mais c’estoit plustost des rogatons pour demander les estreines, et si l’on eust examiné la dose des drogues de cette composition on n’y auroit pas treuvé un dragme de verité parmy deux livres de mensonges.