Page:Hatin - Histoire politique et littéraire de la presse en France, tome 1.djvu/301

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vogue ; le secret qu’elle a trouvé de vendre l’honneur et la réputation fait qu’elle est recherchée des uns et redoutée des autres ; elle est dangereuse en diable, il fait fort mauvais l’attaquer, sa plume et sa langue font des blessures que le temps augmente au lieu de guérir, et quand elle fait estime de quelqu’un elle oblige la postérité d’en faire le mesme jugement.

Il y avoit déja longtemps que les nouvelles passoient par ses mains, et les privilèges autantiques dont elle estoit munie sembloient l’assurer tout à fait en cette pocession, lorsque, le trouble survenant en cet estat et les cartes estant brouillées, il fallut nécessairement qu’elle fit flux aussi bien que beaucoup d’autres : comme elle avoit toujours torché le cul à la faveur et qu’elle avoit suivy les plus lasches ordres qu’on luy avoit prescrit, voyant cette mesme faveur eschouée, elle se vit au bout de son rollet, et, ne sçachant plus de quel bois faire flesche, fut trop heureuse de se taire et de se retirer ; le peuple, eschauffé pour son propre interest, n’auroit pas reçu de trop bonne part des nouvelles de sa façon, non plus qu’elle eust peu se resoudre à dire les veritez de quelques personnes dont elle estoit esclave et mercenaire. Quoy que ses relations parlassent des gens de cour, ce n’estoit que parmy le peuple qu’elle en faisoit le débit ; mais son regne n’estoit plus de ce monde, la chance estoit retournée, il falloit changer de maxime et se tenir au rang des pechez oubliez, de peur que sa teste ne fit mal à ses pieds, et que, les affaires venant à changer de face, elle ne se vît convaincuë d’avoir laschement abandonné pendant leur disgrâce ceux desquels elle disoit tant de bien durant qu’elle tiroit sa protection de leur faveur.

Gazette donc se resolut assez sagement de se retirer, et son silence fut la marque de son interdiction ; la tristesse l’accable, la pauvreté l’accueille, la faveur l’abandonne, et le mal-heur du temps l’enveloppe indiferamment dans la misere publique. Cent fois durant ces tintamares la demangeaison luy prend d’escrire les beaux faits des generaux du peuple ; mais en même temps la crainte du retour, qui vaudroit pis que matine, luy fait redouter l’autre party. D’ailleurs, tous les chemins estant bouchez, et les